Rencontre avec un contremaître d’un abattoir allemand : “Tout cela m’était totalement égal”

Résumé :

Il mentionne des conditions de travail très mauvaises pour les employés d’entreprises sous-traitantes, notamment de grandes  carences au niveau de la sécurité et de la prise en compte des accidents de travail. Les employés en sous-traitance et les autres ont interdiction de communiquer entre eux, ils doivent passer par les contremaîtres. Mais selon lui il ne peut y avoir d’amélioration car tout la filière de la viande repose sur la sous-traitance et fonctionne en « Mafia ». 


 

Récemment, j’ai pu m‘entretenir avec un ancien boucher et contremaître au sein d’un abattoir porcin, situé au sud d’Oldenburg. Il y a travaillé plusieurs années et a bien voulu partager avec moi son expérience avec les employés des entreprises sous-traitantes.

En tant que contremaître, il a supervisé dans cet abattoir le travail à la chaîne. Les employés des sous-traitants étaient séparés des employés permanents. Il y avait une interdiction absolue d’adresser la parole aux travailleurs détachés (ceci était spécifié dans le règlement, disait-il). S’il souhaitait ainsi agir sur le travail des sous-traitants, il devait absolument passer par leur contremaître. Cela confirme ce que j’ai pu moi-même observer récemment sur place: le contremaître de la maison mère se tenait à côté de celui de l’ entreprise sous-traitante (basée en Hongrie) et ne pouvaient échanger qu’entre eux et non directement avec les employés. Par exemple, s’il voulait déplacer un travailleur détaché, qui se montrait efficace dans son travail, vers une autre section de l’abattoir, il fallait toujours passer par le contremaître de l’entreprise hongroise. Ce dernier n’a cependant pas seulement mobilisé le travailleur concerné, mais également 5 autres travailleurs, dans le but manifeste de montrer à la direction de l’abattoir qu’elle n’avait qu’un pouvoir très limité concernant les mouvements de personnel de la société sous-traitante au sein de sa propre entreprise.

Il m’a également expliqué que l’atmosphère de travail au sein des équipes sous-traitantes était marquée par une concurrence acharnée entre les employés. Seuls les plus résistants étaient capables de supporter ce travail ardu. Le sort des autres employés n’avait pas d’importance. Concrètement , en cas d’accident du travail, lorsque le tablier de travail n’était plus assez résistant et que l’employé se coupait avec un couteau de boucher, personne ou presque ne se souciait du ou de la blessé(e). La personne était bien évacuée mais dans un endroit inconnu ; par conséquent, ces employés disparaissaient ou bien revenaient travailler, d’une manière ou d’une autre, une fois rétablis.

Les gens y travaillent comme des machines tant qu’ils tiennent le coup. Quand certains jours il était fixé comme objectif d‘abattre et de découper 400 ou 500 porcs de plus qu’en temps normal, le rythme de production était tout simplement accéléré: „Techniquement, augmenter le rythme de la chaîne ne pose pas de problème particulier, les employés doivent ensuite tout simplement emboîter le pas…”

Ainsi, la production n’augmentait que d’environ 4% à 5% . En règle générale, environ 10.000 animaux étaient déjà tués tous les jours, donc 400 ou 500 animaux en plus représentaient tout de même une différence notable pour les travailleurs.

Environ une fois par mois, des contrôles douaniers avaient lieu (en bloquant toute la zone) et touchaient tous les employés. Personne n’avait le droit de quitter l’usine avant d’avoir été contrôlé. Un ruban permet d’identifier les employé(e)s déjà passé(e)s entre les mains des douaniers. Ces derniers ont d‘ailleurs rarement trouvé quelque chose…

Selon l‘ancien contremaître, le salaire des travailleurs détachés était d’environ 5€ l’heure (brut). Pourtant, ce n’est pas ce qu’ils ont en poche à la fin du mois. En fin de compte, une fois les divers frais prélevés sur le salaire, il ne restait pas grand chose. A sa connaissance, ils devaient payer environ 250 €/mois/personne pour l’hébergement dans une ancienne laiterie où habitaient 200 personnes dans dix chambres à coucher et qu’il y avait un seul cabinet de toilette disponible pour environ 70 personnes.

Des collègues roumains lui ont raconté n’avoir effectivement reçu aucun salaire pour les trois premiers mois travaillés car ces salaires ont été retenus pour payer les frais prélevés par le sous-traitant (officiellement pour le transfert, le recrutement, la formation, etc.) En conséquence, les travailleurs devaient apporter de l’argent pour subvenir à leurs besoins durant ces premiers mois.

On a enfin abordé la question qui me semblait primordiale, à savoir quelles seraient les possibilités, selon lui, en tant que personne expérimentée, pour pouvoir mettre fin aux conditions de travail déplorables dans les abattoirs. Il a répondu succinctement que toute la filière de la viande travaille main dans la main (“Mafia”) et l’utilisation de ces contrats de prestation (travail détaché) est au cœur du système. Ces industries ont ainsi trouvé une niche les rendant économiquement très compétitives sur le marché et elles ne vont pas changer ce mode de fonctionnement car elles ne seraient plus capables de vendre leurs produits à si bas prix. Concernant les conditions de vie et de travail de ces travailleurs, mon interlocuteur conclut avec un haussement d’épaules : “Tout cela m’était totalement égal!”

Guido Grüner

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