Brève sur le cadre légal du travail migrant aux Pays-Bas

Bien qu’il existe un marché du travail commun pour les membres de l’union économique européenne, il n’est pas encore question d’harmonisation à cette échelle concernant son cadre législatif, comme l’illustre notamment les différences entre Allemagne et Pays-Bas par exemple. Ce petit article vise à livrer de manière succincte les bases du cadre législatif dans lequel s’inscrit le travail migrant saisonnier dans le secteur agricole néerlandais.

Un retour sur le cadre légal du travail aux Pays-Bas

La durée légale du travail :

Elle varie de 36 à 40h par semaine (ce qui influe sur le revenu minimum perçu par heure (cf tableau ci-dessous)). Il n’est pas possible de travailler plus de 12h par jour, et donc pas plus de 60h par semaine (sur la base de 5 jour par semaine). Mais sur une période de 4 semaines, la moyenne des heures travaillées ne doit pas dépasser 55h par semaine.

Le repos hebdomadaire obligatoire doit être de 36h consécutives pour une semaine de 5 jours. Des semaines plus longues sont possibles, dans ce cas le temps de repos est porté à 72h toutes les deux semaines. Il peut être divisé en deux mais la plus courte période de repos ne doit pas être inférieure à 32h.

Concernant les pauses :

→ 30 minutes toutes les 5,5h de travail;  45 minutes si la durée de travail excède 10h

→ Fractionnables, à condition que la durée des pauses ne soit pas inférieure à 15 minutes

→ 11h de repos consécutives entre deux jours de travail, 8h si le type de travail nécessite une modification dans la semaine ou le jour de travail.

Le salaire minimum au 1er janvier 2014 (réajusté deux fois par an)

Il est à noter que le salaire minimum doit être calculé sans prendre en compte les heures supplémentaires et les indemnités versés aux salariés (c’est-à-dire que ces éléments n’entrent pas dans la composition du salaire minimum).

Brut et en euros                                                             Par heure

Âge Par mois Par semaine Par jour 36h/ semaine 38h/ semaine 40h/ semaine
+ 23 ans

1485,6

342,85

68,57

9,52

9,02

8,57

22 ans

1262,75

291,40

58,28

8,09

7,67

7,29

21 ans

1077,05

248,55

49,71

6,90

6,54

6,21

20 ans

913,65

210,85

42,17

5,86

5,55

5,27

19 ans

779,95

180

36

5

4,74

4,50

18 ans

675,95

156

31,20

4,33

4,11

3,90

D’après les informations disponibles sur le site du ministère des affaires sociales et de l’emploi

Si le salaire est basé sur un paiement à l’unité produite, le travail à un rythme normal doit permettre de percevoir au moins le salaire minimum.

Le cas du travail migrant aux Pays-Bas

Le contrat de travail pour les ressortissants hors Union-Européenne:

Pour embaucher un ressortissant hors union économique européenne, l’employeur doit prouver qu’il n’est pas parvenu à recruter un employé néerlandais ou un ressortissant de l’Union économique européenne pour ce travail, et aussi prouver qu’il a fait les démarches nécessaires pour trouver cet employé. Après cela, un permis de travail peut être délivré par les autorités nationales pour une période maximum d’un an. Il est donc très difficile pour l’employeur d’employer légalement un ressortissant hors Union Économique Européenne car les délais administratifs sont très long. C’était cependant le cas avant pour les travailleurs Polonais (jusqu’en 2007) Bulgares et Roumains (jusqu’au 1er janvier 2014), mais maintenant ils n’ont plus besoin de permis de travail pour être embauché aux Pays-Bas. Il reste cependant nécessaire pour les Croates. En outre, le contrat de travail saisonnier ne peut dépasser plus de 14 semaines, soit 3 mois et demi, pour les ressortissants hors Union européenne.

Néanmoins, si la personne prend le statut d’ « auto-entrepreneur », elle peut travailler sur le lieu de son permis de séjour.

Bien sûr, les ressortissants de l’Union économique Européenne peuvent travailler librement aux Pays-Bas, au même titre que les néerlandais.

Ces informations constituent le cadre légal de base pour tout travail aux Pays-Bas. Des spécificités par secteurs, branches sont présentes, mais ne peuvent qu’améliorer ce cadre légal.[i]

Les spécificités dans l’agriculture : Il y a deux types de contrat saisonnier.

–          Un contrat correspondant à 8 semaines de travail maximum :

Les conditions normales font référence à 38h de travail par semaine pour un temps complet, payées 9,51 euros brut de l’heure. Dans ce type de contrat, les employeurs ne payent pas de cotisations sociales (assurances maladie, vieillesse, accidents du travail). En ce qui concerne les heures supplémentaires, les conditions dépendent des accords collectifs de chaque branche du secteur agricole (le contenu des négociations diffèrent par exemple entre l’horticulture de serre et l’horticulture de plein champ). De manière générale, les conditions de paiement des heures supplémentaires se font sur cette base : les heures supplémentaires sont payées sur la même base (9,51 euros brut de l’heure) et le total de ces heures doit ensuite être majoré de 35% quand elles sont réalisées en semaine (du lundi au vendredi), de 50% le samedi, et de 100% le dimanche. Mais dans la réalité, ceci n’est pas respecté, de même que les contrats saisonniers excèdent les 8 semaines. En effet, les employeurs embauchent par exemple de manière successive les employés avec des contrats de 6/8 semaines, en utilisant une autre entreprise qui en fait appartient ou constitue le même groupe.

–          Un autre type de contrat saisonnier s’étend jusqu’à 6 mois :

Il correspond en quelque sorte à un CDD où cette fois les employeurs sont tenus de payer les cotisations sociales. Encore une fois, le payement des heures supplémentaires dépend des négociations collectives de chaque branche, mais la base de rémunération est la suivante : au-delà de 48h de travail par semaine payées 9,58 euros de l’heure, les 7 premières heures supplémentaires sont payées sur cette même base et leur total est majoré de 30%, puis de 100% pour les heures suivantes. La durée maximum de travail par semaine étant de 60h. De même, la plus part du temps, les migrants travaillent plus et ne sont pas payés en conséquence, selon Wim Baltussen, responsable du secteur agricole au FNV Bondgenoten, premier syndicat indépendant aux Pays-Bas[ii].

Il est à ajouter que si l’employeur souhaite renouveler son ouvrier, il est alors obligé de lui offrir l’équivalent d’un contrat à durée déterminée. Cependant, l’employeur à le droit d’offrir de nouveau un contrat saisonnier de 6 mois si l’ouvrier retourne dans son pays pour une période de deux semaines.

 

Pour les employés des agences de travail temporaire :

L’employé doit être informé à l’avance et par écrit des conditions et lieux de travail.

Les conditions légales sont déterminées par les accords collectifs négociés pour la branche (CAO) des entreprises de travail temporaire. Mais si l’agence de travail n’as pas son propre CAO, c’est celui de l’entreprise dans laquelle vous êtes placé qui prend le relais, donc dans le cas d’un emploi dans le secteur agricole, ce sont les négociations collectives de la branche qui s’appliquent (par exemple la branche horticulture de serre si la personne est employée par un horticulteur de cette branche).

Aussi, l’employé n’est pas autorisé à travailler dans une entreprise où une grève est en cours.

Aux Pays-Bas, 50% du travail migrant dans l’agriculture est fournis par les agences de travail temporaire.

Le logement :

Si l’employeur fournit un logement à ces ouvriers saisonniers, il est autorisé à retenir au maximum 20% du salaire minimum à plein temps (pour la location, l’eau et l’énergie, soit 297,12 euros  (et 10% en ce qui concerne l’assurance santé, soit 148,56 euros) (pour un total retenue de 445,68 euros sur le salaire minimum légal).

En termes de logement, les employeurs néerlandais sont responsables de la fourniture d’un logement dit « adéquat » à leurs ouvriers migrants, et les municipalités doivent surveiller et contrôler cela. Cependant, les contrôles concernent surtout les conditions de sécurité des logements, et moins leur qualité. Si l’employeur est une agence de travail temporaire qui joue le rôle de sous-traitant du travail pour les agriculteurs, les règles sont les mêmes.

Cela n’entrave néanmoins pas les dérives, comme l’affirme Wim Baltussen, qui relate notamment un exemple dans la région de Limburg, au sud du pays, où des travailleurs Polonais vivaient à 6 dans une caravane délabrée, pour 50 euros par personne et par semaine environ, soit 300 euros par mois et 2000 euros par mois pour l’employeur. Sur le papier, les conditions étaient respectées, mais en pratique les choses étaient, et sont toutes autres selon lui.

Les règles minimales concernant les conditions de logement sont valables dans l’agriculture donc, mais des négociations sont en cours entre les municipalités, le gouvernement central et le syndicat employeur (LTO) pour interdire aux employeurs de loger les saisonniers migrants dans les campings, et caravanes, et ainsi tenter d’éviter une partie des dérives[iii].

Le travail migrant « bon marché » aux Pays-Bas … quelques pistes

Dans le cadre de l’emploi intérimaire mais aussi pour certains agriculteurs, le moyen d’avoir une main d’œuvre peu cher consiste finalement à récupérer par divers moyens, l’argent versé pour leur salaire. Selon Wim Baltussen, certain employeurs proposent des services payants aux travailleurs agricoles qui s’avèrent particulièrement abusif, voire parfois extrême : « Par exemple on leur propose de la nourriture pour 60 euros par semaine, mais ce service correspond en réalité à un frigo avec du pain … c’est plus ou moins la même chose avec les cours de néerlandais, qui leur apprennent juste des notions de bases comme comment dire bonjour, merci, au revoir … ». En outre, les travailleurs migrants ne peuvent souvent pas « échapper » à ces services, ce qui est surtout vrai pour l’accès à la nourriture. En effet, les journées de travail interminable ne leur laisse pas l’opportunité de se rendre dans un supermarché durant les heures d’ouvertures. Ils sont donc contraints d’avoir recours aux services hors de prix des employeurs, ce qui renforce leur vulnérabilité vis-à-vis de ces derniers.

Une manipulation plus ou moins « légale » également utilisée par les employeurs, du moins qui permet de dissimuler un travail sous-payé, est de recruter le personnel manutentionnaire sous le statut de « self-employed » (sorte de statut d’auto-entrepreneur, mais qui n’a pas vraiment de correspondance avec le statut français) : ce statut permet légalement à ces personnes « self-employed » de ne pas se soumettre aux conventions collectives (CAO), ni au salaire minimum, et ainsi offrir une force de travail peu coûteuse[iv]. Néanmoins, ce statut n’autorise pas l’employé à travailler pour une seule personne, pour un seul contrat, ce qui est donc censé encourager ces travailleurs à cumuler les contrats. Mais les journées de travail interminables ne permettent pas réellement aux travailleurs agricoles de multiplier simultanément les contrats, c’est pourquoi les contrats « self-employed » de migrants dans l’agriculture apparaissent immédiatement suspicieux pour les syndicats de travailleurs.

Une autre possibilité, moins avantageuse mais s’inscrivant cette fois plus dans la légalité, consiste à avoir recours à une entreprise sous-traitante étrangère. Celle-ci est alors chargée de réaliser les travaux demandés avec une force de travail dite « détachée », et payée en fonction du niveau de vie du pays d’origine des travailleurs. Ces derniers sont néanmoins indemnisés pour leur détachement. De plus, le détachement est bien souvent administrativement simple. Par exemple, dans le cas d’un sous-traitant Polonais qui voudrait détacher des ouvriers (agricoles ou non), il lui suffit d’obtenir moyennant une contrepartie financière auprès de l’Etat Polonais, une sorte de déclaration de détachement qui doit être présentée à l’organisme d’assurance sociale néerlandais pour valider le détachement des travailleurs. Ceci sert aussi à attester théoriquement du fait que les ouvriers sont assurés en Pologne et que l’entreprise paye les cotisations sociales patronales dans ce pays. Les candidats au détachement ne manquent pas parce que ce mécanisme présente des avantages: il leur permet d’avoir théoriquement accès au revenu minimum néerlandais (ce qui est exigé par la loi néerlandaise pour tout travail sur son territoire, même dans un tel cas). Mais ce recours présente surtout de nombreux avantages pour les employeurs. En effet, d’après un entretien réalisé avec la responsable de la fondation Srada[v], il permet à l’entreprise-employeur de se soumettre uniquement au payement des taxes et cotisations sociales dans le pays d’enregistrement, donc pour un niveau de salaire généralement plus faible. En outre, les avantages du côté employeur ne s’arrêtent pas là, car en effet, aucun contrôle de la validité de ces certifications n’est réalisé côté néerlandais, et leur obtention est facilitée par la rémunération qu’elle procure à l’Etat Polonais. Enfin, les taxes et cotisations patronales ne s’appliquent que sur la rémunération de base, et non sur l’indemnisation de détachement qui permet à l’ouvrier Polonais d’atteindre le revenu minimum légal aux Pays-Bas. Ceci est donc particulièrement avantageux quand on sait qu’en Pologne le revenu minimum est d’environ 370 euros[vi]. Mais bien souvent ces cotisations ne sont mêmes pas réalisées. On comprend donc bien dans ces circonstances pourquoi la sous-traitance de certains travaux peut être intéressante, et pourquoi certaines entreprises orientées vers la sous-traitance sont créées en Pologne par des Néerlandais …


[i] Jusqu’à présent, l’ensemble des informations fournies proviennent de la page du ministère des affaires sociale et de l’emploi du gouvernement néerlandais http://www.government.nl/ministries/szw

[ii]  D’après un entretien réalisé avec Wim Baltussen.

[iii] D’après un entretien réalisé avec Wim Baltussen.

[iv] D’après un entretien réalisé avec Wim Baltussen.

[v] Cette fondation fait de l’information aux migrants et leur vient en aide lorsqu’ils rencontrent des difficultés dans leur vie quotidienne, que ce soit dans leur relation avec l’administration néerlandaise, ou encore dans leur emploi ou avec leurs patrons.


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