La régulation des agences de travail aux Pays-Bas

Résumé :

Pour lutter contre ces dérives le gouvernement à recours à une certification des entreprises de sous-traitance respectueuses du droit du travail et de certains critère supplémentaires. Les entreprises doivent aussi être enregistrées afin de faciliter les contrôles. Le gouvernement promet que si ces mesures ne suffisent pas à réguler le marché du travail agricole de nouveaux outils seront créés. 

Dans un contexte de production agricole où certaines tâches manuelles (comme la récolte) sont irréductibles et se concentrent sur une période réduite de l’année, où le travail représente alors pour certain type de produits entre 40 et 80% du coût de production, où les injonctions des acheteurs et distributeurs à maintenir voire parfois à diminuer les prix de vente des productions se font de plus en plus pressantes, la sous-traitance de ces travaux apparait alors comme un moyen de satisfaire toutes ces conditions. D’autant plus que la liberté des pratiques de ces sous-traitants, ainsi que leurs dérives, permettent bel et bien de disposer d’une main d’œuvre « bon marché » … mais au détriment des droits des travailleurs agricoles principalement.

La législation concernant les agences de travail et la sous-traitance des travaux agricoles

Depuis le 1er juillet 2012, toute entreprise engagée dans une activité de sous-traitance du travail aux Pays-Bas, qu’elle soit néerlandaise ou non, doit être enregistrée auprès de la chambre de commerce en indiquant si cela constitue son activité principale ou secondaire. C’est un amendement du Place of Personnel by Intermediaries Act (Wet Allocatie Arbeidskrachten Door Intermediairs en néerlandais – WAADI) de 1998 qui établit cette obligation, ce qui signifie qu’auparavant aucune contrainte, même faible, n’était établit. Il s’agit là d’une des premières actions de régulation en provenance des pouvoirs publics, suite à l’acte législatif de 1998, supprimant l’obtention de la licence qui était jusque-là nécessaire pour créer une agence de travail.

Ceci concerne donc les agences de travail temporaire, mais aussi les services de payrolling (gestion du personnel et du service de paye). En somme finalement, la sous-traitance du travail d’une manière générale, c’est-à-dire toute entreprise fournissant des travailleurs à une autre à condition que la supervision et le management des travailleurs relèvent de l’entreprise employeur, soit par exemple un producteur dans le cas agricole. Par conséquent, ce prérequis ne s’applique pas dans le cas où un producteur contracterait une entreprise pour la récolte sans superviser le travail, à l’image des schémas de vente de la production « sur pied » à une agence, en vue d’un rachat une fois la récolte réalisée. Il ne s’applique également pas à un déplacement de travailleurs qui interviendrait entre deux filiales d’un même groupe, ou si les entreprises appartiennent à la même personne. Il est à remarquer cependant que rien n’est établit légalement en termes de conditions de recrutement et de conditions de travail. À cela s’ajoute aussi une obligation de payement des taxes de gestion du personnel et des souscriptions au système d’assurance sociale néerlandais. Une fois ces formalités administratives remplies donc, n’importe qui est en mesure d’ouvrir une agence de travail ou d’investir ce type de sous-traitance.

Ceci vise principalement à constituer une base de données afin de faciliter les contrôles des entreprises par l’inspection des affaires sociales. Les sanctions sont uniquement financières[i] et il est donc possible d’avoir quelques doutes quant à l’efficacité de ce type de régulation pour lutter contre les pratiques frauduleuses. Mais le lobby des agences de travail n’est sans doute pas étranger à cette auto-régulation plutôt souple.

Le développement de la certification pour encourager la lutte contre les abus

Parallèlement à cela, les pouvoirs publics encouragent les employeurs souhaitant sous-traiter une partie du travail, à ne recourir qu’à des entreprises ou des agences certifiées. Autrement dit, qui ont été auditées par un organisme privé quant au respect de différents critères.

Le premier type de certification, ou premier niveau, est la certification SNA (Stichting Normering Arbeid – Fondation des normes du travail – du nom de l’organisme définissant les critères de certification) ou NEN-4400, qui existe depuis 2006. La certification NEN-4401 s’applique aux entreprises néerlandaises et prouve notamment qu’au moment de l’audit, celles-ci rémunèrent leur employés au moins à hauteur du salaire minimum, qu’elles sont à jour vis-à-vis du payement des taxes de gestion du personnel (taxe sur les revenus des employés par exemple) et des contributions à l’assurance sociale nationale (vieillesse notamment, assurance maladie, cotisations chômage …). Pour les entreprises de sous-traitance étrangères, c’est la certification NEN-4402 qui tente de réguler leur activité. Pour prétendre à celle-ci, l’entreprise doit pleinement respecter la législation minimum en termes de travail sur le territoire néerlandais, à savoir en plus des conditions précédentes, que l’identité des travailleurs fournis a été clairement établie et que ceux-ci sont en mesure de travailler légalement sur le territoire néerlandais[ii]. Sept organismes disposent d’une habilitation pour auditée les entreprises. L’audit est donc normalement fiable étant donné qu’un organisme tiers, à priori sans conflit d’intérêts si ce n’est qu’il est rémunéré par l’entreprise auditée, réalise cette tâche[iii]. Toutefois, la Seconde Chambre du Parlement néerlandais (Twede Kamer) affirme dans une lettre au Ministre des Affaires Sociales et de l’Emploi, Mr Lodewijk Asscher, que même certaines agences de travail certifiées s’inscrivent dans de « mauvaises pratiques » et de façon volontaire, conduisant à la violation du cadre légal concernant les taxes et le travail[iv]. La corruption au sein des organismes de certification est donc sans doute présente. En outre, il n’est toujours pas questions ici de respect des accords collectifs de branche négociés entre les parties prenantes.

Afin de garantir le bon fonctionnement de ce système de régulation dit privé, il est établit légalement un principe de responsabilité qui s’applique à l’employeur (c’est-à-dire par exemple le producteur, et non le recruteur, l’agence de travail) et à l’ensemble des acteurs impliqués dans la chaîne de sous-traitance : en cas de non payement des taxes de gestion du personnel et des contributions d’assurance sociale par le sous-traitant néerlandais, tous les employeurs (par exemple les producteurs) peuvent-être tenus responsables et se voir réclamer le payement des arriérés[v]. Le recours à une entreprise certifiée permet en fait d’ôter cette responsabilité. Il en va de même avec l’enregistrement de l’entreprise à la chambre de commerce et des sanctions associés, qui peuvent aussi s’appliquer aux employeurs n’ayant pas recours à une entreprise dite « enregistrée »[vi]. Un autre moyen « d’échapper » à ce principe est le recours à un « G-account » tripartite : il s’agit d’un compte bancaire au nom du sous-traitant, uniquement utilisable pour le payement des taxes qui peuvent ainsi être prélevées directement par l’Administration des Taxes, et sur lequel l’employeur peut déposer les payements des taxes de gestion du personnel qui lui incombent[vii].

Les pouvoirs publics espèrent ainsi mettre en place une sorte de barrière à l’entrée sur le marché de la sous-traitance du travail et initier un cercle vertueux de bonnes pratiques en faisant des normes privées établies par la certification, et dans une moindre mesure avec l’obligation d’enregistrement, des principes standards sur le marché, voire même ainsi tirer vers le haut les bonnes pratiques. Il s’agit donc en quelque sorte d’un système de régulation indirecte. Ceci a aussi surement pour but de redorer l’image des entreprises de sous-traitance, et particulièrement des agences de travail, souvent impliquées dans divers scandales médiatiques.

Ensuite, d’autres types de certifications peuvent s’ajouter à ce qui constitue ainsi une base, un premier niveau. Il est possible de citer en exemple le code de bonnes pratiques mis en œuvre par l’association ou fédération des agences d’emplois privées (ABU), qui est garanti par une activité de « monitoring » réalisé par un organisme accrédité par l’association elle-même. En plus de la nécessité de répondre des certifications énoncées précédemment, s’y retrouve aussi des critères de sureté sur le lieu de travail, ainsi que de respect des accords collectifs négociées pour la branche. En outre, l’association oblige également les membres qui proposent des logements à leurs travailleurs migrants à répondre aux critères de certification SNF (Stichting Normering Flexwonen – Fondation des Normes d’Habitation Flex pour une traduction sommaire), et donc à être certifiés. Les critères sont notamment définis en termes d’espaces privés (au minimum 12m2 par personne par exemple), de conditions sanitaires, de sureté et d’hygiène, d’équipement minimum (par exemple disposer d’un frigo de 30 litres), et répondre à la réglementation incendie[viii]. Un organisme privé indépendant est chargé de l’audit.

Mais ce type de réglementation volontaire ne concerne que quelques entreprises membres de certaines associations comme ABU (Algemene Bond Uitzendondernemingen – Fédération Générale des Agences d’Emplois), alors que le nombre d’agences de travail « illégale » opérant aux Pays-Bas est encore estimé à environ 6400 en 2011-2012 par le rapport Lura sur le travail migrant et commandé par le parlement. Ce même rapport affirme aussi clairement l’échec des mécanismes d’auto-régulation (avant que l’enregistrement auprès de la chambre de commerce ne soit rendu obligatoire), et il met par ailleurs en avant le lien entre pratiques illégales et exploitation des travailleurs migrants.

Toutefois, même l’obligation d’enregistrement ne garantit pas de toucher l’ensemble des entreprises engagées dans une forme de sous-traitance. Par exemple, à l’instar de ce qui a été précédemment présenté dans la première partie de l’article, si un sous-traitant est contractualisé pour réaliser certains travaux et qu’il reste le responsable du personnel, alors dans ce cas il s’agit simplement d’un détachement de travailleurs. Le client-employeur n’est alors plus responsable par rapport aux éléments présentés précédemment. Et si le sous-traitant est étranger, il est soumis à la régulation de son pays d’origine mais doit tout de même satisfaire aux conditions minimales de payement (salaire minimum) des salariés pour tous travaux réalisés sur le territoire néerlandais.

Vers plus de régulation dans les mois, années à venir ?

Le 12 mai dernier, un projet de lois concernant la régulation des agences de travail a été déposé auprès du Parlement néerlandais par Mr Lodewijk Asscher, en concertation avec l’administration des taxes et l’inspection des affaires sociales. Son contenu n’a pas été divulgué publiquement mais une intervention dans la presse de Mr Asscher laisse entrevoir quelques dispositions. Parmi celles-ci, des critères de certification plus élevés et accompagnés de conditions d’obtentions plus drastiques. Le ministre a également affirmé qu’en cas de progrès insuffisants, un système alternatif de régulation serait mis en place (cf note de fin de document numéro IV).

Les semaines à venir devraient donc permettre d’en savoir plus quant aux moyens envisagés par le gouvernement pour mettre fin aux pratiques abusives des agences de travail. Mais le bilan de 2 ans de contrôle, ne concernant que l’enregistrement et certains critères relatifs au premier niveau de certification, établit le montant des amendes distribuées à 100 Millions d’euros (cf note de fin de document numéro IV). Le système alternatif de régulation pourrait donc être mis en place plus tôt que prévu.


[i] Une amende de 12 000 euros par employés en cas de première infraction, le double si récidive, et le triple en cas de troisième infraction.

[ii] Pour plus d’infos vous pouvez consulter le site www.normeringarbeid.nl, et vous rendre sur la page http://www.normeringarbeid.nl/en/default.aspx.

[iii] La liste des organismes de certification est disponible à l’adresse suivante : http://www.normeringarbeid.nl/keurmerk/inspectieinstellingen/inspectie-instellingen.aspx

[vi] La vérification est possible par n’importe qui via la chambre de commerce.

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