Zahra à Jakarta

Résumé :

Portrait de Zahra El Bakili, porte-parole de la FNSA, fille et femme de paysans mais qui a été obligée d’abandonner ses terres pour aller travailler en usine. Elle mène de nombreux combats ; pour le droit des travailleurs, mais aussi celui des femmes et des enfants. 

Cette année, Zahra  El Bakili et Driss Adda partent comme représentants de la FNSA (Fédération National du Secteur Agricole, syndicat marocain) à Jakarta afin d’assister à la sixième rencontre internationale de la Via Campesina, qui se déroulera du 06 au 13 juin 2013. Ayant lieu tous les 4 ans, ces rencontres sont des temps forts de la lutte collective et militante des membres de l’association – qui regroupe plus de 200 millions de paysans et petits agriculteurs à travers le monde. Cela fait plus de 20 ans que cette organisation internationale combat l’industrialisation et l’intensification du secteur agricole et  fait valoir l’alternative d’une agriculture plus respectueuse des hommes et de leur environnement.

C’est donc en tant que porte parole que Zahra s’envole pour Jakarta. Grande militante au sein de son syndicat, elle a été choisie pour faire entendre les voix de milliers d’ouvriers marocains de la plaine du Souss jusqu’à la capitale indonésienne. En effet, la vie de Zahra est intimement liée à l’agriculture et aux transformations que ce secteur a subies au cours des dernières décennies – elle connait donc bien le sujet.

Zahra est originaire de Chichaoua. Fille et femme de fellahs (paysans en arabe), elle se voit contrainte d’abandonner ses terres pour le travail en usine. Elle précise que ce n’est pas par choix mais par nécessité. L’inégal accès à l’eau et la multiplication des forages pour le compte de grandes entreprises agricoles dans sa région ont rendu difficile voir impossible la culture de ses terres. Elle n’a donc d’autre choix que de quitter sa ville et de partir travailler en tant qu’ouvrière agricole auprès d’une entreprise agroalimentaire – une société adepte d’un système ayant pourtant causé sa reconversion. A l’usine, Zahra devient vite une militante et s’engage dans le syndicalisme, elle veut faire respecter ses droits. Cependant, le patronat ne voit pas l’organisation syndicale d’un bon œil. Elle se fait alors licenciée par sa direction – qui est par ailleurs transnationale espagnole -marocaine…Et elle n’est pas au bout de ses peines : elle découvre qu’elle n’a pas été déclarée, ne pouvant donc pas cotiser auprès de la CNSS (organisme de la sécurité sociale marocaine) ni bénéficier d’un ratio suffisant pour la retraite. Telle est la réalité des pratiques dans le secteur agricole au Maroc. C’est donc avec une grande fierté et une vraie volonté de changement qu’elle me dit partir pour l’Indonésie.

Zahra n’a jamais voyagé en dehors du Maroc, ça sera donc son premier envol, et surtout sa première assemblée internationale. Elle attend beaucoup de cette rencontre afin d’exposer les problèmes que supportent au quotidien les ouvriers et ouvrières de la région du Souss Massa Drâ : code du travail non appliqué, droits de l’homme bafoués, non respect des libertés et de la dignité des ouvriers, tels sont les sujets qu’elle souhaite aborder. Elle veut aussi échanger sur  la désertification des campagnes,  l’abandon des terres et le problème crucial de l’eau. En effet, les sujets ne manquent pas.

Selon elle, il est également important d’orienter le débat sur la condition des femmes et les difficultés auxquelles elles doivent faire face. L’exploitation des femmes au travail – à qui on demande de travailler toujours plus sans jamais aucune contrepartie ; les cas de discrimination et le problème de la garde des enfants – que l’on confie souvent à des personnes non qualifiées et débordées – deviennent des revendications centrales. Pour Zahra, la question de l’éducation se pose alors : comment transmettre des valeurs et une bonne éducation à des enfants quand vous êtes accaparées par le travail, esclave d’un système productiviste qui ne donne pas la moindre importance aux conditions sociales et humaines qu’il conditionne? Certes, certaines fermes ont mis à disposition de leurs employés des crèches, mais elles restent rares.

Face à ces problèmes, Zahra et d’autres militantes ont créé l’association El Jamaiat Atlas – l’Association Atlas pour la protection des enfants sans éducation – qui vise à défendre et protéger l’intérêt et l’avenir des enfants d’ouvrières. L’association œuvre pour le moment dans la zone du Chtouka, dans les villes d’Ait Amira, Biougra et Boulfaa – fief des grandes structures agroalimentaires qui accueillent chaque années des milliers d’ouvriers migrants saisonniers.

La 6ème rencontre internationale de la Via Campesina promet donc d’être riche en débats et en rencontres. Il nous reste à attendre le retour de Zahra afin de connaitre les temps forts et les axes de mobilisation décidés au cours de ce rassemblement.

http://www.viacampesina.org/fr/index.php/nos-confnces-mainmenu-28/6-djakarta-2013/793-la-vieme-conference-internationale-de-la-via-campesina-se-tiendra-en-juin-en-indonesie

 

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