Une nouvelle population dans la campagne Piémontaise.

Par Marie.

Résumé : témoignage de Signh, ancien paysan de la région de New Dehli et travailleurs agricole dans le Piémont. Arrivé en Europe depuis une douzaine d’années il a travaillé dans différents secteurs avant de devenir ouvrier agricole, et a connu des conditions de travail très mauvaises, des salaires très bas. Aujourd’hui il travaille dans un élevage bovin et est plutôt satisfait des conditions de vie qu’il a obtenu, bien que celle-ci soient très modestes. Beaucoup d’Indiens installés dans la région s’occupent des vaches, ils ont la réputation de bien s’y prendre en raison de l’aspect sacré des vaches en Inde. Cela révèle une certaine propension à ne pas considérer les travailleurs indiens dans leur individualité, dans le même ordre d’idée leurs prénoms sont souvent changés pour des prénoms italiens et le patron de Singh parle de « son indien ».

En février dernier, j’ai rencontré monsieur Singh C, d’origine indienne qui travaille dans un élevage de vaches à côté de la ville de Mondovi (Piemont).

Son cas n’est pas isolé, dans la région il semblerait qu’un nombre [1] significatif de ses compatriotes travaille dans les élevages.

En Italie les taches, les métiers, sont très ethnicisés et le secteur agricole n’y échappe pas. Dans le Piémont, des explications plus ou moins fantaisistes sont avancées pour justifier la progressive « indianisation » du secteur. Ainsi il est dit que les Indiens seraient particulièrement compétents pour travailler auprès des vaches, sacrées en Inde. De la même manière, la présence de chinois dans les carrières de pierre de Luserne s’explique par le fait qu’ils seraient venus apporter leurs compétences en matière d’extraction de cette même pierre qu’ils travailleraient dans leur région d’origine. En réalité si l’on se réfère à son témoignage, les choses sont un peu moins romancées. Cela fait 12 ans que Singh vit en Italie et si désormais sa situation est tout à fait correcte, son parcours témoigne de moments plus difficiles…

En effet, ce phénomène peut s’expliquer d’une autre manière. Dans le Piémont, le recours à la main d’œuvre migrante est fondamental pour un secteur désormais abandonné par les travailleurs italiens en raison des faibles rémunérations et des conditions de travail difficiles qui caractérisent ce secteur. De plus, en maintenant de faibles rémunérations ces éleveurs peuvent mieux s´accommoder de la concurrence avec les français et les allemands et rester compétitif. Enfin, le Piémont est une des régions les plus âgées de l’Union Européenne, avec une proportion de population de 65 ans et plus, qui représente 21,9% [2] du total. Cette main d’œuvre, vient en partie remédier aux conséquences du vieillissement de la population qui concerne davantage encore le milieu rural. L’impact de l’immigration sur le milieu rural se manifeste donc sous des formes variées et complexes. Il dépasse l’aspect économique, intervenant sur plusieurs plans à la fois économique, social, politique et culturel.

Il n’est pas évident de rentrer en contact avec ces personnes car dans la majeure partie des cas elles habitent sur leur lieu de travail : à savoir des exploitations qui sont évidemment loin des centres urbains. J’ai pu le rencontrer par l’intermédiaire de Francesco Belgrano, sociologue de l’immigration et bénévole à la Caritas de Cuneo.

Lorsque nous sommes arrivés, Francesco m’a fait remarquer que Singh et sa famille habitent dans la partie ancienne de l’exploitation, désertée par les propriétaires qui ont préféré se construire une maison neuve. L’entretien s’est déroulé dans une pièce qui fait office de cuisine et à l’architecture typiquement piémontaise avec ses plafonds voûtés, le tout décoré d’images à l’effigie de dieux et autres icônes typiquement indiennes.

Peux-tu me répéter ton prénom ?

Je m’appelle Singh. Ici tout le monde m’appelle Carlo car mon prénom est trop difficile à prononcer.

Peux-tu me parler de ton parcours, de ton arrivée en Italie ?

Je suis arrivé en Italie en 1997. Avant je travaillais sur des bateaux, sur des cargos qui transportaient des marchandises. Ça ne payait pas bien et le travail ne me plaisait pas, alors j’ai changé de trajectoire, j’ai tenté ma chance en Grèce, j’avais 18 ans. Mais en Grèce le travail est encore plus dur qu’en Italie. Je gagnais très peu d’argent et j’étais sans papiers. Puis, j’ai entendu dire qu’en Italie il y avait du travail et qu’il y avait plus de possibilités d’obtenir des papiers. De plus, il y avait déjà mon cousin et mon oncle. Donc en 1997, je suis arrivée à Vintimille par bateau et je les aie rejoint tout de suite. Ils habitent dans la région, mon cousin habite à Fossano.

Francesco : Oui, cela fonctionne comme une sorte de chaîne, les gens font marcher le réseau familial pour venir, puis pour se loger et trouver un travail.

D’ailleurs c’est lui qui m’a appris le travail. Les premiers temps, j’ai travaillé avec lui dans l’exploitation dans laquelle il travaillait, mais je n’avais pas de papiers ni de contrats. C’est comme ça que j’ai appris le métier. J’ai appris à soigner, à nourrir les vaches. Ensuite en 1999, j’ai trouvé un poste dans une exploitation, toujours dans la région. Avec cet emploi j’ai pu régulariser ma situation, avant j’étais clandestin. Enfin, j’ai eu un permis de séjour seulement en 2000.

Tu as toujours travaillé dans la région ?

Non, j’ai pas mal bougé. J’ai travaillé dans 2 ou 3 provinces différentes. Par exemple, à Rome j’ai fait un peu de tout. Mais cela ne me plaisait pas on me traitait comme un domestique et puis j’étais très mal payé. Alors je suis revenu ici. J’ai trouvé un premier travail dans l’élevage, pas loin d’ici. J’avais une soixantaine de vaches à traire elles étaient toutes dans une seule étable. Ici c’est compartimenté : il y a salle consacrée à la traite. Mon employeur me trouvait très efficace, j’ai travaillé deux ans et demi pour lui. Mais je me sentais mal surtout physiquement car le travail était très dur. J’avais mal au ventre tout le temps, je me sentais faible. J’ai arrêté et je suis retourné un peu en Inde. A mon retour j’ai retrouvé un travail toujours dans l’élevage et grâce a un ami. C’était dans un village pas très loin de Turin.

Aparté : au milieu de notre entretien est arrivé le patron de l’exploitation. Il a feint de ne pas être au courant de notre présence, et suggéré que « cette interview de « notre indien » doit être diffusée dans la presse ». Cette petite intrusion illustre une instrumentalisation des travailleurs par certains exploitants : ils utilisent des pronoms possessifs, choisissent un nouveau prénom, on peut avoir l’impression que l’employé leur « appartient ».

Pourquoi as-tu changé de travail ?

Parce que je ne me trouvais pas bien. Souvent je travaillais énormément sans que la rémunération soit à la hauteur. Lorsque tu fais ce travail tu es obligé d’habiter sur le lieu de l’élevage. C’est plus pratique pour tout le monde. Les vaches demandent du travail 7 jours sur 7. Mais par exemple, c’est arrivé que l’on me propose une chambre pour habiter avec toute ma famille (sa mère, sa femme son fils). Une chambre seulement avec tout dedans : la cuisine, les lits etc et puis souvent le chauffage était insuffisant.

Et combien d’heures travaillais-tu ?

Avant, je travaillais 8h à 9h par jour tous les jours même les jours fériés. Parce que vous savez les vaches ça ne fait pas de pause ! Maintenant c’est un peu moins. Le matin je commence à 5h30 je travaille en général jusqu’à 9h. Je reprends l’après midi, à 15h pour finir vers 19h30 20h. Évidemment c’est variable, car avec les animaux ont ne sait pas, parfois tout va bien parfois rien ne va… c’est difficile mais je suis habitué.

Pour quel revenu ?

Ça dépendait…avant j’étais payé de 700 euros à 1000 euros. Ici c’est beaucoup mieux je gagne 1300 euros et je peux loger ma famille dans de bonnes conditions.

Francesco : et pourquoi selon toi les indiens font ce travail ?

Hé bien ! Parce qu’ici on est mieux payé qu’en inde ! Enfin je crois qu’en Inde la situation s’améliore un peu. Mais moi maintenant je connais mieux l’Italie que l’inde, j’y habite depuis 12 ans. Je retourne parfois en inde mais cela fait deux ans que je n’y suis pas allé.

Quand ta famille est-elle venue de rejoindre ?

Je me suis marié en 2003. Ma femme est arrivée en janvier 2006. Mon fils est né ici et ma fille, il y a tout juste 15 jours. Il y a aussi mon frère qui est arrivé il y a une semaine pour travailler ici. Il va rester pour seulement 9 mois avec un permis de travail saisonnier. Le travail augmente avec l’arrivée du printemps.

Et en Inde que faisais tu ?

Avec ma famille on avait aussi une petite exploitation pas très loin de New Delhi dans le Nord. On semait du riz, du mais et des céréales…mais les revenus n’étaient pas suffisants.

Et vous aviez des bêtes aussi ?

On n’avait pas de vaches mais deux trois bufflonnes. Elles ne produisaient pas assez de lait pour le vendre. Elles produisaient environ 10 litres chacune. Ici en comparaison, les vaches produisent au moins 60 litres !

Comment imagines-tu ton avenir ? Veux-tu rester ou retourner un jour en Inde ?

Un jour je retournerais en Inde. Parce que l’Inde est mon pays. Ici je me fixe un maximum de 20 ans. J’aimerais bien réussir à monter un business : une entreprise de location de voiture.

[1] Selon le syndicat agricole la Coldiretti, en 2009 231 personnes de nationalité indienne travaillaient dans le secteur agricole dans la région Piemontaise

[2] Ires, Piemont, « Piémont : une région où la dynamique de la population est fondée sur l’immigration plus que sur la reproduction »,http://www.demos.piemonte.it/PDF%5C…

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