Les polonais aux Pays-Bas : travailleurs saisonniers sous haute surveillance.

18 mars 2011 par juliaC

Résumé : Les Pays-Bas ont un important besoin en main d’œuvre, notamment agricole, pourtant ce besoin est accompagné d’une politique xénophobe, en partie dirigée à l’encontre des 100 000 travailleurs temporaires polonais qui y vivent. Les saisonniers sont recrutés par des agences en Pologne, leurs salaires ne sont souvent versés qu’à moitié et ils doivent s’acquitter de nombreuses dépenses (loyers, assurances maladie, équipement…). Leurs logements sont contrôlés par les agences de travail qui se réservent le droit d’infliger des amendes pour des raisons aussi diverses qu’arbitraires (chambre mal rangée, poubelle non-sortie…). Pourtant le gouvernement hollandais ferme les yeux sur ces abus et préfère justifier le rejet du « tsunami polonais ».

On estime qu’environ 100 000 polonais vivent aux Pays-Bas, dont la moitié sont des travailleurs temporaires, employés par des agences intérimaires basées en Pologne, et dont les sièges sociaux se trouvent aux Pays-Bas. Ils travaillent comme magasiniers, ouvriers ou dans des serres dans des conditions indignes et dans la précarité totale. Les agences leur assurent un emploi temporaire, le transport vers le lieu de travail, le logement. De plus ils sont soumis à des contrôles tout à fait hors normes : les employés des agences, en possession des clefs des logements, peuvent en effet effectuer des contrôles à surprise, entrant à n’importe quel moment dans les habitations des travailleurs pour contrôler si on y consomme de l’alcool, des drogues, si on y fume… Souvent les chambres d’hôtel sont surveillées par des caméras, en dépit de toute sauvegarde de la vie privée. Les “inspections de la propreté”, sont courantes : si les locataires amènent des meubles de leur propriété qu’ils possèdent dans le logement, si les plaques électriques se trouvent dans la chambre, si la poubelle n’a pas été sortie, ou encore si on trouve un cendrier sur la table, ou les chaussures mal rangées, c’est des dizaines d’euros d’amende [1] . Les logements sont souvent des sordides chambres d’hôtel, des studios, des roulottes à des dizaines de kilomètres des villes principales. Des polonais vivant à la Haye racontent que dans certains cas, les locataires sont obligés de payer un loyer de 300 euros chacun pour partager un studio à sept personnes en haute saison ! L’agence paie aux travailleurs plus ou moins la moitié de ce qu’elle reçoit de l’employeur. Les travailleurs sont aussi chargés des frais de transport vers les Pays-Bas, de la copie des clefs, des vêtements de travail, de l’assurance maladie… Souvent, ils ne travaillent pas les 40 heures par semaine garanties, car il n’y a pas assez de travail, ainsi ils n’arrivent pas toujours à payer leur loyer et ils finissent à la rue. Malgré cela, les agences continuent à envoyer des travailleurs polonais sur place. S’il y a un problème, le travailleur peut résilier le contrat du jour au lendemain avec l’agence, c’est son seul droit. L’agence intérimaire devient maitre du travailleur qui au début de la collaboration signe un accord incluant toutes les règles de comportement à tenir et les conditions à respecter, appelé « Tolérance zéro ». Tom Gibcus, représentant de l’agence ABU, explique au journaliste qui lui pose des questions sur les dures conditions de vie des travailleurs saisonniers, que « Les Polonais ont le choix : ils peuvent rester en Pologne. » Au Pays Bas, 40% du marché du travail est géré par des agences intérimaires [2]  : les employeurs préfèrent recourir à des intermédiaires qui se chargent de recruter les travailleurs, et se limitent à déclarer de combien ils en ont besoin. Le travail aujourd’hui ne vaut plus grande chose, l’employé est une simple marchandise, remplaçable : de la main d’œuvre à bon marché, cyclique et inépuisable. De cette façon le travailleur saisonnier qui a un contrat à durée déterminée, part quand son contrat se termine, et n’a aucune possibilité de s’intégrer dans le pays d’accueil. Souvent il vit éloigné des grandes villes, il a des horaires et des conditions de vie très dures, ce qui ne l’aide certainement pas à s’intégrer dans la société d’accueil.

Tsunami polonais

Depuis quelques temps, la réputation des polonais qui travaillent aux Pays-Bas est très mauvaise, ce qui est entretenu par un discours politique xénophobe très populaire et largement repris et diffusé par les médias. Le maire adjoint de l’Hague a crée l’expression « tsunami polonais », pour souligner l’ampleur du problème lié à la présence des polonais dans le pays. D’après lui, une fois au chômage ils finissent à la rue, deviennent des sans-abris, ils boivent, ils sont bruyants, etc. Dernièrement, le tabloïd gratuit De pers a publié un article xénophobe intitulé « Les polonais : les nouveaux marocains » : marocains, utilisé ici comme synonyme d’inciviles, d’étrangers qui viennent faire du bruit et salir les Pays-Bas. Le mécanisme est désormais rodé : en temps d’incertitude économique et de fragilité sociale, le migrant devient automatiquement le bouc émissaire. De l’autre coté, comme d’autres pays européens à faible natalité, les Pays-Bas ont un besoin inépuisable de main d’œuvre à bas prix. Mais le gouvernement de centre-droit soutenu par le parti anti-islamique de Geert Wilders, s’est adapté sans aucune hésitation à la rhétorique populiste anti migrants. Dans les déclarations officielles on parle d’une migration “contrôlée et limitée”. En même temps, les problèmes dus au surpeuplement des habitations et à la paupérisation des migrants sont strictement liés à la politique de recrutement des agences intérimaires, mais personne ne semble le remarquer. Une des « solutions » au problème, selon le gouvernement, serait de remettre en place des cours d’intégration de langue et de culture néerlandaise, autrefois gratuits qui doivent coûter maintenant 6 000 euros pour les non ressortissants de l’UE : voici un outil qui sélectionne tout de suite les candidats à l’immigration.

Immigration jetable

Les Pays-Bas sont en pleine contradiction : comme beaucoup de pays européens en déclin démographique, ils ont et auront de plus en plus besoin d’une main d’œuvre composée par de migrants. En même temps, ils voudraient des travailleurs invisibles, sans droits, qui le soir rentrent dans leurs roulottes et chambres surpeuplés, sans rien demander, sans interagir avec la population « autochtone ». C’est une histoire entendue déjà trop souvent. Il faut aussi considérer que pour les polonais, les marchés du travail d’Autriche et d’Allemagne seront complètement ouverts à partir du 1er mai 2011. Jusqu’à maintenant, les travailleurs avaient besoin de permis de travail pour s’y rendre. Le Ministère du travail estime entre 300 et 400 milles le nombre de polonais qui partiront travailler là-bas en trois ans. Si les conditions de travail seront meilleurs en Allemagne et en Autriche, les Pays-Bas perdront leur main d’œuvre « jetable »…

Notes

[1] “Holandia chce Polaków do pracy. Ale bez zobowiązań”, Gazeta Wyborcza biz, édition on line du 3/01/2011, http://wyborcza.biz/biznes/1,101562…

[2] “Jak Polaków w Holandii pilnują”, Gazeta Wyborcza biz, édition on line du 11/01/2011 http://wyborcza.biz/biznes/1,101562…

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