Des camps pour Rosarno

23 février 2012 par Antoine.

Le 17 janvier dernier, Andrea Riccardi, ministre de la coopération, de l’immigration et de l’intégration du gouvernement Monti était en visite à Rosarno (Calabre) pour se rendre compte de la situation. Chaque année, entre les mois de novembre et mars, cette commune de 15.000 habitants « accueillent » des centaines de travailleurs saisonniers immigrés, originaires pour la plupart d’Afrique sub-saharienne, qui sont employés pour la récolte des agrumes. Ici, les contrats de travail sont un mythe, les payes oscillent entre 20 et 25 euros par jour et on travaille rarement plus de 3 jours par semaine [1] .

Pendant la saison, ces travailleurs se logent ou ils peuvent. Les mieux lotis louent des maisons délabrées dans le centre-ville ou les propriétaires les entassent contre 100 euros mensuels. Les autres se regroupent dans des maisons ou des usines abandonnées, dans « la brousse », sans eau ni électricité [2]. Pourtant au lendemain de la révolte des travailleurs africains à Rosarno, le 7 janvier 2010, les autorités s’étaient engagées à fermer les ghettos et à ouvrir « le village de la solidarité » pour l’hébergement des saisonniers. Deux ans plus tard, si les anciens ghettos n’existent plus, d’autres ont vu les jours et le grand projet annoncé n’a toujours pas donné signe de vie.

Une semaine après la visite du ministre, un camp de tentes pouvant accueillir 250 travailleurs a ouvert ses portes. Déjà l’année passée, un camp de containers provisoire avait était installé. Ce dernier a été remis en activité cette saison, hébergeant 120 personnes. Si ces camps offrent aux résidents un minimum de confort par rapport aux ghettos ou aux maisons abandonnées, ils témoignent aussi d’une gestion politique « urgentiste » en faveur de l’exploitation et de la ghettoïsation de cette population.

Ces camps sont ouvert jusqu’au mois d’avril, soit la fin de la période de récolte des oranges à Rosarno. Au-delà, les travailleurs immigrés sont priés d’aller voir ailleurs, à Casibile (Siciles) par exemple ou débutent la récolte des pommes de terres. En cela, ils constituent un outil de gestion des flux migratoires saisonniers répondant aux besoins des filières agricoles méridionales. Autrement dit, les immigrés ne sont tolérés sur le territoire qu’en tant que force de travail au service du capital. Lors de sa visite, le ministre Riccardi a d’ailleurs rappelé : « comme ministre de l’intégration et de l’immigration, je ne suis pas le ministre des immigrés, mais plutôt des italiens et de tous ceux qui travaillent en Italie ».

A l’intérieur de ces camps, l’association responsable a définit les règles et l’organisation quotidienne en accord avec les autorités locales. Le règlement stipule notamment que les sorties du camp entre minuit et 6 heure du matin doivent être justifiée, que les activités politiques sont interdites, que les visiteurs doivent déposer une pièce d’identité et justifier leur visite ou que les chambres peuvent être inspectés pour vérifier la propreté. Mais les mécanismes de contrôle ne sont pas tous écrits. Dans le camp des tentes par exemple, il n’y a pas de cuisines individuelles à disposition mais un restaurant collectif qui sert seulement le diner. Une punition pour tous ceux qui n’ont pas pu trouver de journée de travail et sont contraints de rester au camp.

Les deux centres d’accueil sont situés dans la zone industrielle de Rosarno au milieu d’usines désaffectées, à environ 3/4km du centre-ville. Quotidiennement, les travailleurs saisonniers doivent parcourir cette distance à pied pour trouver du travail ou faire des course. L’objectif affiché est d’éloigner les travailleurs immigrés afin d’éviter les tensions avec la population locale. Cette logique de mise à l’écart et de regroupement des étrangers témoigne d’une volonté politique d’invisibilisation de cette population. Pourtant d’autres initiatives ont été expérimentées. A Drosi par exemple, à 15 km de Rosarno, la Caritas locale se porte garant pour permettre aux saisonniers de louer des maisons dans le centre. Aujourd’hui, 70 personnes bénéficient de ce programme, la majorité y réside de manière permanente et sans problème de « voisinage ».

Les camps semblent donc répondre à un double objectif : organisation de l’exploitation à l’échelle régionale et contrôle de ces populations potentiellement dangereuses. Mais ils incarnent aussi la politique de l’urgence structurelle qui prévaut depuis plus de 20 ans. Chaque année, au mois de décembre, les autorités semblent prises de cours par l’afflux de travailleurs. Le gouvernement national et les ONG sont appelés à la rescousse pour faire face à la catastrophe humaine. Pourtant jusqu’à ce jour, les solutions apportées sont toujours provisoires, pérennisant un régime d’exception permanent. D’ailleurs les camps doivent être démontés à la fin du mois d’avril…en attendant la prochaine récolte.

Notes

[1] Voir l’article de Charlotte, Un an après la révolte de Rosarno, les africains revendiquent encore le respect de leurs droits, http://emi-cfd.com/echanges-partena…

[2] En 2008, d’aprés MSF, 90% des travailleurs migrants de la plaine de Gioia Tauro vivaient dans des structures abandonnées ; Un stagione in inferno, MSF, 2008

Share